Oncogénétique cancer du sein

Apport de l’oncogénétique dans la prise en charge du cancer du sein: actualités et perspectives

mars 4, 2024

Dr Daniel Toledano

Auteurs: D. Toledano & O. Cohen-Haguenauer de l’unité d’oncogénétique, hôpital Saint-Louis, AP-HP, Paris.

La consultation d’oncogénétique

Née de l’évidence qu’environ 10% des cancers du sein s’inscrivent dans un contexte familial, l’oncogénétique ou génétique de la prédisposition héréditaire au cancer est actuellement en pleine évolution. Dans la majorité des cas, ces cancers du sein surviennent à un âge précoce par rapport aux cancers dits sporadiques, et ainsi avant l’âge où est instauré un dépistage systématique dans la population générale.

Dans la tranche d’âge 25-40 ans, l’influence de l’hérédité dépasse un tiers des cas. La consultation d’oncogénétique contribue à évaluer un risque individuel à partir d’une histoire familiale pour en tirer les recommandations sur un parcours optimisé de suivi et de soins spécifiques des personnes à haut risque génétique, s’agissant en particulier des apparentés indemnes.

Le développement de l’oncogénétique constitue une priorité du Plan cancer 3. La Haute Autorité de santé (HAS) et l’Institut national du cancer (INCa) ont formulé des recommandations de prise en charge des sujets à haut risque de cancer (1, 2). En outre, chez les personnes déjà affectées par un cancer, le champ de l’oncogénétique se décline aussi désormais dans un contexte d’urgence : en effet, la connaissance des données de génétique constitutionnelle est susceptible de conditionner la prise en charge thérapeutique des personnes affectées par un cancer du sein.

La question est donc posée d’étendre les critères d’indication à des tests génétiques constitutionnels, au-delà d’une histoire familiale connue. Ces considérations doivent intervenir dans le strict respect du cadre éthique spécifique, compte tenu de l’enjeu majeur, psychosocial et de santé que représentent la connaissance d’une mutation constitutionnelle et l’éventualité de sa transmission héréditaire.

 

Le syndrome de prédisposition héréditaire au cancer du sein et de l’ovaire

L’hérédité autosomique dominante

Les mutations génétiques constitutionnelles concernées sont en majorité héritées de l’un des parents.

Elles sont dites ancestrales et transmises de génération en génération avec 1 risque sur 2 pour un individu porteur de la transmettre à chacun de ses enfants: la transmission est dite autosomique dominante, indépendante du genre, les gènes en question étant portés par des autosomes. Il est important d’insister sur la notion de pénétrance incomplète :

En effet, le développement d’un cancer n’est pas inéluctable chez un individu porteur. Cela met en lumière l’importance des facteurs modificateurs du risque, qu’ils soient environnementaux, génétiques ou épigénétiques.

 

Gènes BRCA et risques associés

Les mutations sur les gènes BRCA1 et BRCA2 sont  retrouvées le plus fréquemment et concernent approximativement 1 femme sur 500. Elles confèrent un risque très élevé de cancer du sein et de l’ovaire chez les femmes porteuses d’une mutation. Le risque cumulé de cancer du sein et de l’ovaire au cours de la vie est respectivement de 65-80 et 40 % en cas de mutation sur le gène BRCA1. Il est de 45-60 et 10-40 % en cas de mutation sur le gène BRCA2 (3, 4). Le risque de cancer ovarien chez les femmes porteuses d’une mutation BRCA2 varie en fonction de la localisation de la mutation sur le gène : il est majeur pour celles présentes dans la région OCCR (Ovarian Cancer Cluster Region) [5].

Si le risque d’atteinte ovarienne ou tubaire est moins élevé que le risque mammaire en valeur absolue, de manière relative, il est beaucoup plus fréquent qu’en population générale où moins de 1 femme sur 100 est concernée. D’autres risques sont identifiés chez les hommes porteurs d’une mutation sur le gène BRCA2, notamment le risque de cancer de la prostate, 15 fois plus agressif (6) et celui de cancer du sein. S’agissant du gène BRCA1, on observe un rajeunissement de l’âge au diagnostic de génération en génération. De surcroît, le risque d’atteinte controlatérale ou de second cancer augmente d’environ 4 % par an ; il serait un peu plus faible en cas de mutation sur le gène BRCA2 (7).

Risque de cancer du sein selon le gène de prédisposition chez le patient avec mutations constitutionnelles

Phénotypes tumoraux

Les tumeurs BRCA1 sont majoritairement des carcinomes infiltrants de type non spécifique (CI-NST), de grade élevé (85 % de grade III), avec un important infiltrat lymphocytaire et des foyers de nécrose. Plus de 80 % sont de phénotype triple négatif n’exprimant pas les récepteurs hormonaux et ne présentant pas d’amplification de HER2/ neu (9).

Si les tumeurs BRCA1 sont plus agressives que les tumeurs sporadiques, en revanche, elles sont plus chimiosensibles, particularité qui en améliore significativement le pronostic (10). Les tumeurs BRCA2 sont hétérogènes, sans type histologique prédominant, exprimant en majorité les récepteurs hormonaux (11).

 

Quand recourir à un test génétique constitutionnel ?

Des critères spécifiques, familiaux et individuels ont été retenus par l’INCa pour proposer un test génétique.

Critères d’indication au test génétique constitutionnel selon l’INCa (8).

* Critères familiaux
Selon l’expertise nationale de 1998 mise à jour en 2004 :
• Au moins 3 cas de cancer du sein diagnostiqués chez les apparentés au premier ou au second
degré, appartenant à une même branche parentale (quel que soit l’âge au diagnostic).
• 2 cas de cancer diagnostiqués chez les apparentés au premier degré ou second degré passant par
un homme, si :
– un cancer du sein avant 40 ans ou un cancer du sein bilatéral ;
– ou un cancer du sein chez l’homme ;
– un cancer du sein et un cancer de l’ovaire (quel que soit l’âge);
– 2 cancers de l’ovaire (quel que soit l’âge).
Ces critères sont actuellement étendus aux situations suivantes :
• Au moins 2 cas de cancer du sein ou de l’ovaire et au moins 1 cancer du pancréas chez des
apparentés au premier degré ou au second degré, appartenant à une même branche parentale (quel
que soit l’âge au diagnostic).

* Critères individuels
• 1 cancer du sein infiltrant isolé avant 36 ans;
• 1 cancer du sein et 1 cancer de l’ovaire chez la même femme (quel que soit l’âge);
• 1 cancer du sein triple-négatif ou médullaire avant 51 ans;
• 1 cancer du sein chez l’homme (quel que soit l’âge);
• 1 cancer de l’ovaire ou tubaire avant 70 ans (non mucineux) et sans limite d’âge en cas
d’histologie “séreux haut grade”.

 

Tableau -Score d’Eisinger ou score INSERM (8).

Situation Poids
Mutation BRCA identifiée dans famille 5
Cancer du sein chez la femme < 30 ans 4
Cancer du sein chez la femme 30-40 ans 3
Cancer du sein chez la femme 40-50 ans 2
Cancer du sein chez la femme 50-70 ans 1
Cancer du sein chez l’homme 4
Cancer ovarien 3

Score d’Eisinger – Indication:

> 5 : excellente
3-4 : indication possible
< 2 : intérêt faible

Score d’orientation vers une consultation d’oncogénétique, de calcul simple, très largement utilisé et auquel il est fait référence dans les recommandations de la HAS 2014 relatives à la prise en charge des femmes à risque élevé de cancer du sein (1).

En cas de cancer du sein précoce (avant 40 ans), multifocal ou bilatéral, ou de phénotype triple-négatif, ou de cancer de l’ovaire ou de survenue d’un cancer du sein chez l’homme, il faut rechercher systématiquement lors de l’interrogatoire initial une agrégation familiale de cancer évocatrice d’un syndrome de prédisposition héréditaire. L’adhésion active du consultant (le “proposant”) à la démarche oncogénétique est primordiale. L’enquête doit être la plus exhaustive possible avec le recueil des dossiers familiaux pour poser l’indication à la réalisation d’une première analyse dans une famille donnée, chez la personne la mieux susceptible de contribuer à fournir l’information clé, appelée cas index.

 

Liste des gènes dont l’analyse est recommandée en cas de suspicion de prédisposition familiale au cancer du sein (8, 16)

Cas n°1: Intervention justifiée par le niveau de risque

IRM mammaire recommandée Discuter option de mastectomie de RR Recommandation annexectomie de RR
BRCA1 BRCA1 BRCA1
BRCA2 BRCA2 BRCA2
CDH1 CDH1 Syndrome de Lynch
PALB2 PALB2 RAD51C
PTEN PTEN RAD51C
TP53 TP53

Cas n°2: Niveau de preuve insuffisant pour intervention


IRM mammaire recommandée Discuter option de mastectomie de RR Recommandation annexectomie de RR
BARD1 ATM ATM
BRIP1 BARD1 BARD1
CHEK2 BRIP1 BRIP1
NBN CHEK2 CHEK2
RAD51B NBN NBN
ATM* RAD51B PALB2
STK11** STK11** RAD51B
N/A N/A STK11**

RR : réduction du risque.
* S’agissant du gène ATM, le NCCN (National Comprehensive Cancer Network) américain prend en compte un risque
de radiosensibilité et préconise une surveillance par IRM mammaire exclusive.
** Dans un contexte syndromologique évocateur de syndrome de Peutz-Jeghers lié aux mutations du gène STK11, ces
interventions sont considérées comme étant recevables, en tenant compte de l’histoire familiale et faisant suite à une
réunion de concertation pluridisciplinaire.

 

Comment le test génétique est-il mis en œuvre ?

Chez le cas index
En cas de mutation constitutionnelle héritée de l’un  des parents, l’individu porte cette même version du gène muté dans toutes les cellules de son organisme (nous ne décrirons pas ici la situation des néo-mutations ou, beaucoup plus complexe, des mosaïques).  Il est alors possible de la rechercher à partir d’une simple prise de sang en analysant l’ADN des leucocytes circulants. Le prélèvement de contrôle, obligatoire (lois de bioéthique) peut être un simple frottis jugal. Il faut relever la grande variabilité des mutations avec plus de 1 000 différentes déjà identifiées pour chacun des gènes BRCA1 et BRCA2 (12).

L’étape limitante est donc l’identification d’une mutation responsable de l’histoire familiale, chez le cas index, individu chez lequel il existe la plus grande pro-
babilité de retrouver une éventuelle mutation et dont le résultat est le plus pertinent au bénéfice de l’ensemble de la branche familiale concernée.
Le consentement éclairé obligatoirement signé par la personne testée est recueilli par le médecin, après remise d’une note d’information expliquée au préalable.

Un accompagnement psychologique est systématiquement proposé. Les résultats, confidentiels, sont rendus par l’oncogénéticien lors d’une consultation obligatoire.
Le développement des technologies de séquençage à haut débit (Next Generation Sequencing [NGS]) permet aujourd’hui l’analyse simultanée de plusieursgènes lors d’une même analyse (notamment PALB2, TP53, CDH1, PTEN, RAD51C et RAD51D) [13-15]. Selon l’expertise conduite par le groupe Génétique et Cancer d’Unicancer, en l’état des connaissances et des données disponibles, l’analyse de 13 gènes est recommandée en cas de suspicion de prédisposition familiale au cancer du sein [16].

 

Chez les apparentés : test dit présymptomatique ou ciblé

Dans l’éventualité où une mutation a été mise en évidence, l’information − par l’intermédiaire du cas index − des apparentés susceptibles d’en avoir hérité est devenue une obligation juridique (décret n° 2013-527 du 20 juin 2013), compte tenu des enjeux de santé et du niveau de risque encouru.

Elle peut être recherchée, à titre individuel et confidentiel, chez ceux qui en expriment le souhait et après signature d’un consentement éclairé ; une consultation auprès d’un psychologue est systématiquement proposée. Le résultat est communiqué dans le cadre d’une consultation. Chez les apparentés, un résultat négatif prend toute sa signification : le risque de cancer du sein est pratiquement comparable à celui des personnes de la population générale (environ 10 % pour le cancer du sein, en France), mais il existe des cas de phénocopie − c’est-à-dire de cancers intervenant chez des apparentés non porteurs de la mutation −, et parfois avec un diagnostic plus précoce que dans la population générale.

Cas où aucune altération génétique n’est identifiée chez le cas index

Le risque familial ne peut être définitivement exclu. Selon la sévérité de l’histoire familiale et la précocité des diagnostics intervenus, la HAS a émis des recommandations spécifiques de prise en charge (1). En effet, la mutation n’est peut-être pas décelable par nos techniques actuelles, ou bien porte sur un gène encore inconnu ou relève de facteurs multigéniques ?

Il faut discuter l’indication à poursuivre les investigations génétiques à la recherche de mutation sur d’autres gènes susceptibles d’intervenir dans la prédisposition au cancer du sein, voire l’analyse d’exome ou du génome entier, à titre de recherche, envisagée dans le cadre du plan Médecine France génomique 2025 (17) [programmes SeqOIA en Île- de-France et AURAGEN en Rhône-Alpes].

 

La prise en charge des femmes à haut risque de cancer du sein et/ou de l’ovaire

Il est nécessaire de mettre en place des modalités de surveillance mammaire spécifiques chez les femmes porteuses d’une mutation sur un des gènes de prédisposition majeure au cancer du sein, c’est-à-dire BRCA1, BRCA2, PALB2, TP53, CDH1 et PTEN – en l’état actuel des données disponibles, proposées
sous forme d’un programme personnalisé de suivi (PPS) à l’occasion d’une réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP). Notons que le National
Comprehensive Cancer Network (NCCN) a émis des conclusions différentes, en particulier pour les gènes ATM, CHEK2 et NBN: il est tenu compte de la
radiosensibilité des femmes porteuses de mutations ATM, comme TP53, et préconisé une surveillance mammaire par IRM exclusive en limitant au strict
minimum les mammographies de dépistage et, le cas échéant, toujours numérisées plein champ en incidence unique, c’est-à-dire oblique externe.
Dans le cas où l’histoire familiale est chargée (cancers du sein de diagnostics précoces ou cancers de l’ovaire épithéliaux) sans qu’aucune altération génétique ne
soit identifiée, une surveillance similaire aux femmes porteuses d’une mutation est recommandée (1).

La surveillance à haut risque génétique comporte :
➤ un examen clinique des seins tous les 6 mois dès l’âge de 20 ans par un médecin référent;

➤ une imagerie mammaire annuelle débutée 5 à 10 ans avant l’âge au diagnostic de cancer du sein le plus précoce dans la famille et pas plus tard qu’à l’âge de 30 ans par IRM réalisée à titre systématique jusqu’à l’âge de 65 ans, complétée par une mammographie numérisée plein champ, incidence unique oblique externe avec ou sans échographie ;

➤ et une surveillance gynécologique annuelle dès l’âge de 35 ans, avec au moindre doute une échographie pelvienne et endovaginale dont la fiabilité reste médiocre ; ainsi dès 40-41 ans pour BRCA1 et 45-47 ans pour BRCA2, une annexectomie bilatérale prophylactique est préconisée (2).

Enfin, chez la jeune femme indemne, les modalités de contraception orale sont les mêmes qu’en population générale ; ainsi que celles relatives à l’assistance médicale à la procréation (AMP) [2].

L’inclusion dans un centre de suivi des personnes à haut risque de cancer du sein doit être systématiquement proposée. Là encore, un consentement éclairé est recueilli, mentionnant notamment l’informatisation des données nécessaires au suivi et à titre confidentiel. Grâce à ce dispositif mis en place avec le soutien de l’INCa, des relances sont adressées au patient concerné et à son médecin référent dans le mois qui précède la date d’anniversaire du bilan annuel préconisé. Un accompagnement psychologique doit être systématiquement proposé.

Enfin, le décret n° 2016-1185 du 30 août 2016 permet aux patients à risque élevé et très élevé de cancer du sein, l’exonération du ticket modérateur pour les examens annuels d’imagerie.  L’éventualité d’une chirurgie de réduction du risque peut être considérée avec la personne à haut risque de développer un cancer puis discutée, voire validée en RCP. Ainsi, selon les recommandations de l’INCa de 2017 (2), une mastectomie de réduction de risque (MRR) peut être envisagée chez les patientes présentant une mutation dès l’âge de 30 ans, après un délai de réflexion d’au moins 4 mois, avec une décision accompagnée par plusieurs consultations avec un psychologue spécialisé, voire une consultation auprès d’un psychiatre, au mieux accompagnée par le conjoint, le cas échéant.

La MRR constitue le moyen le plus efficace de prévenir la survenue d’un cancer en en réduisant le risque de 85 à 100 %. Néanmoins, les études publiées n’ont pas prouvé une amélioration significative de la survie globale après mastectomie prophylactique (18-20). Sur le plan ovarien, une annexectomie bilatérale de réduction du risque (ARR) est fortement recommandée, dès 40-41 ans pour BRCA1 et 45-47 ans pour BRCA2. L’ARR réduirait de 80 % le risque de cancer de l’ovaire, des trompes de Fallope et de cancer du péritoine (21). Elle réduirait également le risque de cancer du sein de 37% chez les patientes mutées BRCA1 et de 64% chez les patientes mutées BRCA2 (22).  Enfin, on rappelle que le médecin oncogénéticien doit communiquer au patient la liste des apparentés susceptibles de bénéficier du test ciblé sur la mutation familiale, identifiée chez le cas index.  La transmission de ces informations est obligatoire sur le plan légal.

 

Les enjeux thérapeutiques et l’oncogénétique

Ces enjeux sont d’une part médicaux, notamment en rapport avec les médicaments dits thérapies ciblées, et d’autre part chirurgicaux. À côté des conséquences en termes de stratégie de réduction du risque, la connaissance du statut de porteur d’une mutation sur un gène majeur de prédisposition est parfois déterminante pour la prise en charge d’un cancer du sein ou de l’ovaire : ainsi, l’oncogénétique et l’identification d’une mutation constitutionnelle conditionnant les choix thérapeutiques sont entrées dans le domaine de l’urgence, en particulier au bénéfice des patientes atteintes d’un cancer métastatique.

Il est donc primordial pour les équipes concernées d’établir un rang de priorité dans les indications d’analyse. Il faut relever que la plupart des essais cliniques
actuellement en développement pour le traitement des cancers du sein et/ou de l’ovaire, incluent des critères d’inclusion ou de stratification de l’interprétation en fonction du statut mutationnel de la personne affectée.

 

Traitements médicaux de l’oncogénétique

La nouvelle classe thérapeutique des anti-PARP, apparue voici une dizaine d’années, intervient sur les mécanismes de réparation de l’ADN et agit par létalité synthétique par inhibition de la poly-ADP-ribose polymérase (PARP) au niveau des cellules tumorales où préexistent des mutations conduisant à une déficience du système de la recombinaison homologue, notamment des gènes BRCA1, BRCA2 ou paralogues du gène RAD51. Leur efficacité a été démontrée sur des cellules tumorales déficitaires BRCA dès 2005 (23) et, plus récemment, par la même équipe de C. Lord et A. Ashworth (24, 25).

C’est tout d’abord dans le traitement du cancer de l’ovaire séreux de haut grade platine-sensible en situation de rechute que les anti-PARP se sont imposés avec succès, conduisant à la première autorisation de mise sur le marché (AMM) aux États-Unis et en Europe pour l’olaparib chez les porteurs de mutations BRCA1 ou BRCA2 (26). Une mutation sur les gènes BRCA1 ou BRCA2 est retrouvée dans 14 à 20 % des cas de cancers ovariens séreux de haut grade. De plus, 5 à 10 % de mutations sont exclusivement retrouvées dans le tissu tumoral, avec une indication à l’olaparib en cas de rechute et de sensibilité aux sels de platine.

Depuis peu, il peut être prescrit une autre molécule, le niraparib, en l’absence de mutation des gènes BRCA ; cependant avec une activité beaucoup plus significative en cas de mutation, dans les études publiées (27). Les résultats des essais cliniques très récents démontrent que plusieurs molécules anti-PARP apportent également un bénéfice pour la prise en charge des cancers du sein métastatiques, même après plusieurs lignes de chimiothérapie (28-29). À noter, des essais sont actuellement en cours pour les cancers prostatiques hormonorésistants après une ligne de traitement systémique et le cancer du pancréas après traitement par la gemcitabine, chez les porteurs de mutation BRCA1 ou BRCA2 (30).

L’immunothérapie anticancéreuse qui utilise des inhibiteurs du point de contrôle immunitaire (anti-PD1-PDL1 et/ou anti-CTLA4) représente une révolution thérapeutique qui a valu l’attribution du prix Nobel de physiologie ou médecine en 2018 à James Allison et Tasuku Honjo. Toutes les tumeurs malignes comportent des mutations génétiques à l’origine de protéines mutantes susceptibles de se présenter comme des néo-antigènes reconnus et attaqués par le système immunitaire.

Est ainsi défini le concept de charge mutationnelle des tumeurs qui conditionnerait en grande partie la susceptibilité de ces dernières à l’immunothérapie avec, en tête, les tumeurs au profil MSI, c’est-à-dire instabilité des microsatellites, plus fréquemment identifiée dans les cancers du tube digestif et/ou de l’endomètre (31). Parmi les cancers du sein, les tumeurs de phénotype triple-négatif ou médullaire, très souvent environnées d’un infiltrat lymphocytaire, sont les mieux susceptibles d’être concernées (32).

Tout récemment, N. Zacharakis et al. (33) ont décrit une nouvelle approche d’immunothérapie ayant permis une régression complète d’un cancer du sein métastasé résistant aux traitements classiques: une méthode à haut débit est mise à profit pour identifier les mutations reconnues par le système immunitaire. À côté des molécules intervenant dans les points de contrôle du système immunitaire, le transfert adoptif de lymphocytes T infiltrant les tumeurs (TIL) s’est avéré efficace contre le mélanome, le cancer du poumon induit par le tabagisme et le cancer de la vessie.

Plus récemment, les cellules CAR-T, c’est-à-dire dont le récepteur a été manipulé génétiquement pour reconnaître un antigène tumoral spécifique, ont montré leur efficacité spectaculaire, après leur transfert adoptif dans les leucémies B de l’enfant et dans environ 30 % des lymphomes B réfractaires de l’adulte (34). Des développements sont en cours dans le cancer du sein dont le rapport bénéfice-risque sera conditionné par la spécificité de la reconnaissance d’un néo-antigène tumoral (35).

Traitements chirurgicaux

Le traitement chirurgical concerne comme nous l’avons vu plus haut la situation de réduction du risque. De plus, la connaissance d’une mutation constitutionnelle chez une femme affectée par un cancer du sein est aussi susceptible d’influencer les modalités thérapeutiques et, notamment, l’indication à une chirurgie radicale : la mastectomie d’emblée peut être l’option choisie au lieu d’une simple tumorectomie, par exemple lorsqu’il n’y a pas d’indication à une radiothérapie en première
ligne thérapeutique. Il s’agit alors d’une situation d’urgence pour obtenir le résultat du test génétique.

 

Oncogénétique du cancer du sein: les points forts

  • Environ 10 % des cancers du sein s’inscrivent dans un contexte familial. Selon les critères de prescription des tests génétiques constitutionnels actuellement recommandés par l’INCa, des mutations sont retrouvées dans environ 10 % des cas.
  • La priorité majeure du dispositif oncogénétique en France est la prise en charge des apparentés indemnes à haut risque, selon les recommandations de l’INCa, l’examen de référence étant l’IRM mammaire systématique à partir de 30 ans.
  • Les enjeux thérapeutiques de l’oncogénétique concernent les médicaments innovants, notamment anti-PARP et immunothérapie, et les modalités des interventions chirurgicales.
  • Avec la généralisation des techniques de séquençages à haut débit, en 2017, l’analyse de 13 gènes est retenue en raison des conséquences sur la prise en charge clinique. Cet effort sera amplifié à travers le programme France Médecine Génomique 2025.

 

Conclusion

Les recommandations de surveillance mammaire spécifiques des femmes à haut risque s’appliquent soit sur la base d’une mutation familiale identifiée,
soit sur la sévérité de l’histoire familiale, évocatrice de prédisposition au cancer du sein (1, 2). La réalisation d’une analyse génétique à la recherche de prédisposition au cancer comporte de nombreux enjeux chez la personne testée : personnel, tant sur le plan médical que psychosocial et familial, avec désormais l’obligation légale d’information aux apparentés, en préservant l’anonymat.

L’étape limitante reste l’identification d’une anomalie génétique constitutionnelle imputable à l’histoire personnelle et familiale du cas index. Les nouvelles technologies de séquençage permettent l’analyse simultanée de plusieurs gènes, en ce sens, le groupe Génétique et Cancer d’Unicancer préconise la réalisation d’un panel de 13 gènes, reconnus d’utilité clinique, lors d’une suspicion de prédisposition au cancer du sein. Le déploiement des technologies de séquençage promu par le plan Médecine France génomique 2025 permettra, à travers l’analyse d’exomes (WES) et/ou l’analyse pangénome (WGS), la mise en évidence de nouvelles mutations sur des gènes de prédisposition déjà connus, la découverte de nouveaux gènes de prédisposition et la recherche de nouveaux modèles (polygéniques) de prédisposition.

L’oncogénétique fait face à 3 défis majeurs pour les décennies à venir:

➤ prioriser les consultations − notamment celles avec enjeu thérapeutique − devant l’augmentation considérable de la demande de consultations d’oncogénétique et la saturation des services liée au manque de moyens humains indispensables à une prise en charge optimale des individus à haut risque de cancer du sein ;
➤ former de jeunes professionnels spécialisés, pour les raisons mentionnées ci-dessus, qu’il s’agisse sur le plan clinique de médecins oncogénéticiens, de conseillers en génétique, de psychologues, de radiologues, de chirurgiens plasticiens et, au niveau des laboratoires de diagnostic, de biologistes moléculaires et d’ingénieurs en bio-informatique ;
➤ classer les variants de signification indéterminée (VSI) de classe 3 (36), pour lesquels il n’est pas possible de conclure en l’état actuel des connaissances, à un caractère délétère sur la fonctionnalité de la protéine traduite.

Enfin, l’éventualité doit être discutée d’élargir l’indication des tests génétiques constitutionnels à la majorité des cancers du sein, comme cela est désormais le cas pour les cancers de l’ovaire de haut grade, et pour suivre l’invitation de M. C. King et al. (37), tout récemment relayée par C. Turnbull et al. (38).

Horg.fr remercie les Dr Odile Cohen Haguenauer & Dr Daniel Toledano pour le partage de cet article sur Horg.fr

© Edimark, La Lettre du Sénologue, tous droits réservés.

 

 

Bibliographie

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Dr Daniel Toledano

Dr Daniel Toledano, Généticien. Le Dr Toledano propose des consultations d'oncogénétique (prédisposition héréditaire aux cancers) dans le cadre de la prise en charge des patients affectés et pour les patients indemnes de cancer en population générale souhaitant une évaluation du risque familial.